Stagiaire

Publié le par Pet Sounds

Elle est étalée dans la paille. Sortie de l'étable depuis quelques jours, une étable glissante et boueuse où elle ne pouvait plus se lever. Deux pattes endolories. Nos essais pour la relever ont été infructueux. Constat froid et désespéré d'un éleveur qui connaît et aime sa vache. Constat sordide, un troupeau qui vieillit. Constat à déchirer le coeur : elle va mourir.

Accroupie près d'elle, je tourne et retourne des paroles que j'ai entendues. Les éleveurs aiment leurs vaches. Bien sûr qu'ils les aiment, bien sûr qu'on ne peut pas travailler avec un animal simplement pour l'argent, quand on voit le temps qu'il faut y passer et la perte d'argent que cela peut représenter.

Constat amer : on ne peut pas l'envoyer à l'abattoir. Si elle arrive à monter dans le camion, elle ne passera pas une fois là-bas. Il faut faire venir le véto.

 

Oui, il aime ses vaches. Mais il connaît le prix de chacune et à côté de cela, ne mesure pas forcément les conséquences d'un envoi à l'abattoir. Euphémismes : celle-là, je l'ai vendue. Vendue, pas envoyée à la mort, non. Vendue... Mais au prix de la viande. Ils me font rire, ces chauvins qui disent qu'ils ne veulent pas être végétariens parce qu'"ils aiment voir des vaches dans leur pré". Celle-là, ils aimeront la voir dans un rayon de supermarché. Ou plus vraisemblablement à l'équarrissage. 

 

Ses yeux se révulsent sous l'effet de la douleur et de la peur. Elle a la trouille, cette foutue vache qui meugle à répétition. Constat attristé : elle se plaint. Elle se lamente, même. Si j'étais un peu trop portée sur l'anthropomorphisme, je dirais qu'elle supplie qu'on lui donne la mort. Trois jours que la piqûre a été évoquée, et que quelque part, je l'attends moi aussi. Mes doigts grattent son chanfrein, tapotent son encolure.

 

Ultime effort pour la relever. La campagne vendéenne détrempée pour seul témoin de la souffrance. Les deux postérieurs ont décollé du sol, soulevés par le tracteur. Les yeux écarquillés, les pupilles dilatées, la vache semble ne même pas comprendre comment elle a pu se "lever". Ses antérieurs cherchent le sol. Pliés au niveau du boulet, posés à l'envers. Constat agacé : elle n'essaye même pas. Et moi je crierais bien qu'elle ne peut pas essayer, pas après avoir été couchée pendant trois jours à attendre de crever. Mais je ne dis rien. Passe une main distraite sur son encolure. 

 

Le vétérinaire a été appelé. Il passera dans l'après-midi. Un jour, ce sera moi qui donnerai cette piqûre, apporterai le soulagement.

Pour l'instant, je suis juste la stagiaire.

Publié dans Anecdotes

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