Accrochée à la vie

Publié le par Ping' & GéGé

Ce n'est pas une histoire bien original. Elle n'est pas non plus très belle, sa fin n'est pas heureuse, mais l'actrice principale est suffisamment exceptionnelle pour mériter que l'on parle d'elle ici. 

C'était un jour comme un autre. Un jour avec ses entrées, ses sorties. Sa fourrière qui se remplit et se vide, son refuge qui aboie, ses bénévoles et ses employés. Jour de refuge banal que celui où on nous l'a amenée. Je ne peux pas dire que je m'en souvienne, je ne sais même pas si j'étais là. Ce dont je me souviens c'est des quelques mots que l'on lançait à son sujet. Tranchants. "Vieille", "percluse de tumeurs". Et il suffisait de la regarder pour comprendre. Une petite beagle, l'air doux et un peu perdu des vieux chiens, des dents usées par le temps et surtout, deux chaînes mammaires qui traînaient par terre sous le poids des tumeurs. Elle avait été trouvée errante et il ne fallait pas la regarder bien longtemps pour deviner que personne ne la réclamerait. Son histoire ? Il y avait quelques hypothèses. Chienne de chasse plus bonne à rien, ou rejetée à cause de la maladie. Et les quelques affiches bricolées pour elle ne servirent à rien : la petite beagle de fourrière ne serait pas réclamée.

 

Son délai fourrière écoulé sans grande conviction, la décision fut prise de l'installer dans la chatterie. Le but était de ne pas l'enfermer en box : de toute façon, à son âge, elle ne serait pas regardée, et mieux valait qu'elle soit heureuse. Et puis, ce sacré Rocxy venait de nous quitter, il y avait de la place même si nous aurions préféré que ce ne soit pas le cas. Très vite, elle a attiré les regards par sa joie de vivre. Il faut dire que c'était un sacré numéro. La queue toujours remuante, les yeux brillants malgré le voile qui les couvrait, trottinant vers qui voulait bien venir la voir. Pour ça et pour sa ressemblance avec la chienne d'une ancienne employée du refuge, elle avait été affublée du patronyme de Rosemarie. Si nous en avons ri au début, nous nous y sommes faites, et avons commencé à l'adopter comme une nouvelle mascotte.

 

En promenade, ne mentons pas, elle tirait et n'était pas toujours agréable. Pourtant, ce n'était pas sa force de petite beagle qui nous décourageait. Et de toute façon, en ce qui me concerne, je n'ai jamais pu lui en vouloir de profiter de la vie. Alors nous la laissions faire. De même que nous la laissions s'installer, prendre de plus en plus de place, et faire sa loi dans la chatterie. Elle tyrannisait ses camarades. Jalouse, la demoiselle supportait mal que l'on porte de l'attention aux autres chiens. Et je ne parle pas de la nourriture. Mais elle profitait, saisissait au vol tout ce qu'on pouvait lui donner. Petite chienne qui n'avait jamais rien eu, elle recevait soudain plus qu'elle n'avait reçu au cours de toute sa pauvre vie de chasseresse. D'ailleurs, elle a rapidement pris de l'embonpoint à force de piquer la nourriture de ses camarades...

 

Mais cette histoire si parfaite de l'un de ces chiens que le refuge rend plus heureux que leur vie passée (ils sont rares, il faut l'avouer, et heureusement...) ne pouvait pas durer. Il a bien fallu lui enlever ces tumeurs dont nous craignions qu'elles ne reprennent le dessus. Toute une chaîne mammaire enlevée. Opération réussie, Rose réintègre la chatterie... Puis se met à maigrir, à faiblir, bref, elle décline. Et bientôt, la petite beagle joyeuse a le regard éteint et les côtes saillantes. Nous l'avons tous vue morte. Et puis quelques examens plus tard (beaucoup, je pense) ont permis de déceler un diabète et donc, une mauvaise cicatrisation. Une maladie grave en soi mais surtout, que nous avons pu traiter. Et si Rose n'a jamais repris le poids qu'elle avait avant, elle a retrouvé sa joie de vivre. 

 

La vie a donc repris son cours avec son lot d'ennuis. Les chiens se sont succédés dans la chatterie, jusqu'à arriver à la bande à peu près stable de Rosemarie, Rafal (son favori !), Alibaba, Roc qui nous a quittés il y a quelques temps maintenant, et enfin, Belle. Croisée berger allemand (adoptée il y a quelques semaines de cela) bien usée par la vie, elle avait été mise en chatterie dans l'espoir qu'elle s'habitue à la présence des Hommes autour d'elle. Ce n'était pas une mauvaise idée, elle avait progressé. Mais un jour, sans que quoi que ce soit ait pu nous permettre de le prévoir, Rose a été retrouvée bien amochée. Lorsque je l'ai vue, elle était immobile, glacée, le regard vide. Je lui ai dit au revoir, en larmes, persuadée de ne pas la voir revenir de chez le vétérinaire.

 

Pourtant, Rose n'avait pas dit son dernier mot. Elle est revenue. Enflée, pas très en forme. Et les jours qui ont suivi ont été moins doux pour elle. Elle avait un peu perdu de sa joie de vivre. Je savais que le temps passait. Mais peu à peu, se dessinait la certitude que ce serait moi, qui partirai avant elle.

Et pourtant, toutes ces craintes ne suffisaient pas. Il est arrivé un autre jour où nous avons trouvé Rose étalée, froide, le regard vide, devant une gamelle pleine. Et lorsque nous avons prévenu les employés, tous ont répondu "c'est la fin". Et cette fois tout le monde y croyait. Là, il y a eu les dernières caresses de tous les employés, le regard de celui qui l'a emmenée chez le vétérinaire, et à son retour, cette phrase lapidaire : "Ils vont faire des examens mais ils n'y croient pas". 

 

Mais ce n'était pas encore la fin, puisque trois heures plus tard, Rose circulait dans les couloirs du refuge. Elle était fatiguée, mais elle était là, et il s'agissait tout simplement de réajuster sa dose d'insuline. Cette fois, je l'ai vraiment crue immortelle. Et puisque c'était mon dernier jour à l'arche, je savais que j'apprendrai sa mort alors que je serai déjà loin. Et surtout, je savais que si elle devait partir, c'est qu'il en était vraiment temps.

 

Voilà quelques semaines que Rose nous a quittés. Emportée par l'âge et par une vie bien remplie et, sans doute, loin d'être facile. Je la verrai pour longtemps comme un symbole et je sais que je parlerai encore un moment d'elle en souriant. C'est sans doute le fait de ne pas l'avoir vue le dernier jour, de toujours l'avoir vue reprendre le dessus, qui fait que je ne suis pas réellement triste. J'imagine d'ici le vide que son absence crée, mais je ne le vis pas. J'ai simplement la tête pleine de souvenirs d'une chienne qui s'est battue jusqu'au bout.

 

IMG_0133-copie-2.JPG

 

Rosemarie et Rafal

Publié dans Hommages

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article